Par Laurent Chateau
« Jadis, Tchouang Tseu rêva qu’il était un papillon, voltigeant est satisfait de son sort et ignorant qu’il était Tchouang Tseu. Brusquement il s’éveilla et s’aperçût avec étonnement qu’il était Tchouang Tseu. Il ne savait plus si c’était Tchouang Tseu rêvant qu’il était un papillon, ou un papillon rêvant qu’il était Tchouang Tseu ».
On connait tous ce passage de Tchouang Tseu qui suggère qu’en état d’endormissement et d’altération de la conscience, les plans de réalité se confondent et se brouillent. L'écrivain américain Philip K. Dick par exemple en a fait sa marque de fabrique. En vérité, il en est de même à un certain stade de la pratique méditative. La littérature l’évoque rarement mais certains pratiquants avancés vous le diront : méditer est une mise en abime, l’accès à un monde qui déforme le temps et l’espace, le haut et le bas, l’avant et l’après, l’intérieur et l’extérieur, le réel et ce qui le complète.
Cité par la sinologue Isabelle Robinet, Lao Tseu nous avait pourtant prévenu : « Dans le mystère, il est un autre mystère. Dans le souffle, il est un autre souffle. Dans le corps, il est un autre corps ». Lie Tseu avait surenchéri en affirmant que « c’est parce que le grand contient le petit qu’il n’existe ni limite ni frontière. Ce qui contient les êtres contient aussi l’univers » (Traité du vide parfait, 5, 1).
Après l’Harmonie, l’Impermanence, l’Interdépendance et la Bipolarité dynamique, la Fractalité est le 5è Principe de la Création et de la Vie selon une grille personnelle inspirée par la sagesse du Tao qui en contient 18. Cet article cherche à en approcher la notion à partir de plusieurs exemples successifs et concrets.
La fractalité dans la nature
Un article spécifique avait abordé en détail cette notion. On le redit ici, la Nature aime le « Simple » et dupliquer ce qui fonctionne. Forme pure, on retrouve par exemple la courbe élémentaire de la spirale (*) dans les coquillages, dans certains végétaux, dans le siphon d’une baignoire qui se vide, dans le nœud d’une branche d’arbre, dans l’implantation des cheveux ou la section d'une aorte, dans la corne d’un mouflon, dans le rouleau d’une vague, dans un ouragan ou dans une galaxie. On retrouve cette reproduction des formes simples que l'on pourrait appeler des "mèmes" ou comme Ken Wilber des "holons", dans la nervure que l’on observe par exemple dans le développement des racines des arbres ou des feuilles, des deltas des rivières, des réseaux du corps humain ou de l’iris des yeux. Reproduction, fractalité.
En outre, on observe que ce qui est en Haut (l’atmosphère, les glaciers des montagnes, les mondes invisibles…) se retrouve et devient à l’image de l’Homme et de ce qui est en bas (particules de plastique au sommet des glaciers...). Ce qui est en bas est ou devient à l’image de ce qui est en haut (l’eau qui tombe des nuages, les feuilles qui sont tombées hier ont produit le pétrole d'aujourd'hui…). Les plans (Ciel/Homme/Terre) sont reliés et communiquent entre eux.
La fractalité dans le corps humain
A l'échelle du corps humain, la fractalité nous invite à observer que « dans la partie se trouve le tout », fidèle en cela à l'un des grands principes de la médecine chinoise. C’est ainsi que le thérapeute chinois retrouve chacun des 5 organes indifféremment dans diverses parties du corps : dans l’oreille (auriculothérapie), dans les pieds ou les mains (réflexologie plantaire ou palmaire), dans les dents (cf. illustration ci-dessous), sur la langue, sur le visage, dans l’iris (iridologie), au sommet du crâne (BaïHui) et même dans le rectum où les 5 agents (Bois, Feu, Terre, Métal et Eau) sont clairement localisés.

L'exemple du lien entre les dents et les organes
La fractalité sur le plan des Hommes s’exprime également dans la compréhension que ce qui guide les grandes lois du microcosme de notre Humanité (naître, vivre et mourir, le Yin/Yang…) s’appliquent pareillement au macrocosme de la Nature comme à celui de l’univers lui-même.
Comprendre les lois de l’Univers et la fractalité, c’est comprendre par exemple que notre simple respiration d’humain est à l’image de la respiration des arbres ou des saisons de la nature, de celle d’une vie ou de celle de l’Univers.

De manière intuitive, la compréhension subtile de la fractalité nous laisse penser que le célèbre Big Bang lui-même n’était pas le « début » ou la création première de l’Univers mais simplement la fin d'un temps de pause respiratoire et le démarrage d'une expiration cosmique. La tradition taoïste appelle ce moment de bascule le TaïJi, le « grand faîte » qu’on appellerait le « point d’inflexion » en mathématiques. Le pratiquant de la Voie comprend qu’il serait logique que le Big Bang ne soit que l'étincelle d'amorçage, le début d'une vertigineuse expiration qui explique l'expansion de l'univers et qu'elle sera suivie dans les éons à venir d'une formidable inspiration et contraction inverse, dans une succession de « Big Bang » et de « Big Bounces », allers-retours élémentaires d'un cycle respiratoire incommensurable qui en comprend une infinité. Cette perception rejoint le mot de Tchouang Tseu qui déclare (il y a plus de 2 300 ans) qu’ « en remontant à l’origine du monde, je rencontre l’infini. En cherchant sa fin, je rencontre également l’infini ». Certains astrophysiciens commencent à travailler cette hypothèse autour par exemple du « modèle quantique gravitationnel à boucles ».
La fractalité de l'univers
En allant plus loin, la fractalité nous invite à observer que l’interdépendance entre les plans (2è principe taoïste selon notre codification) est partout, Fruit d’une inspiration méditative, l’illustration suivante tente de capter cette idée :

L'interdépendance circulaire de l'univers
On le devine intuitivement et si on plie cette représentation, on récupère alors un cercle et on ressent que le vide de nos cellules rejoint assez simplement et assez vite le vide de l’univers. Cette affirmation rejoint ce mot de Tchouang Tseu pour qui « l’infiniment grand n’a pas de dehors, il s’appelle le grand Un. L’infiniment petit n’a pas de dedans, il s’appelle le petit Un ». La tradition taoïste rapporte que l’univers est en nous.
En zoomant sur le vide de nos cellules et de nos atomes, certaines pratiques du Qi Gong alchimique nous font précisément retrouver la fractalité des plans, le vide de nos cellules et nous aident à rejoindre simultanément le vide du cosmos. La sensation sublime de la pratique ne permet plus de distinguer le vide de son corps du vide de l’univers, ne permet plus de savoir si c’est (le vide de) son corps qui contient l’univers ou si c’est (le vide de) l’univers qui contient son corps. Cette sensation est à peu près la même qui nous fait prendre conscience que le bleu de l’espace (vers le Ciel) est de même nature et rejoint le bleu du fond des océans (vers la Terre).
La fractalité par le symbole
Si l’on se réfère aux messages symboliques transmis par les maîtres de la tradition, on peut retrouver le jeu de la fractalité de nos plans de réalité dans le symbole du TaïJi (Yin/Yang) ou du grand changement ainsi que dans les monogrammes Yin ou Yang (Gua ou Kua)

La fractalité du TaïJiTu et des monogrammes Yin/Yang
Du côté des monogrammes (à droite), un Yin peut être considéré comme formé de deux Yang, le flexible est la somme de deux inflexibles et ce raisonnement peut se reproduire à l’infini.
Pour ce qui est du symbole du Yin/Yang (TaïJi Tu) à gauche, chaque point, noir ou blanc, peut s’entendre comme un Yin/Yang à part entière, qui porte en lui-même le prochain cycle ou un sous-cycle interdépendant du cycle qui l'englobe. On perçoit ainsi la mise en abime de l'exercice et la puissance symbolique du vortex associé, un peu à l’image d’un miroir qui se regarderait lui-même.
La fractalité de la conscience
La notion de plan de conscience pour sa part peut également être convoquée pour aborder la question de la fractalité même si elle n’est jamais simple à décrire, buttant sur la limitation et la connotation des mots, des expériences et des cultures. Pour l’illustrer au mieux, les hommes et les prophètes ont souvent fait appel aux symboles, aux paraboles et aux images. L'article suivant a tenté l'aventure en décrivant les plans de conscience sous la forme d'une nage.

L’évocation de la « nage de la Conscience » tentait d’illustrer cette notion de fractalité. S’enfoncer dans les profondeurs de la Conscience, c’est s’enfoncer dans un tube sans fin, c’est découvrir l’infinitude du cycle de la vie, le flux et le reflux de toute existence, le jeu des respirations gigognes de l’Univers, le petit souffle de l’homme, le souffle intermédiaire de la nature et des saisons, le grand souffle des constellations et des galaxies auquel on a fait allusion.
Les conséquences et enseignements de la fractalité
De manière pratique, que peut-on comprendre et espérer du Principe de Fractalité tel qu’il vient d’être décrit ? Sans chercher l’exhaustivité si chère au cerveau humain, on peut à tout le moins, en retirer les 5 enseignements suivants :
- Cette idée de la fractalité du monde et de ses lois permettra probablement dans les années qui viennent de réconcilier la physique classique et la physique quantique, de réunifier les 4 forces de la gravitation (à l’origine de l’attraction des corps massifs entre eux), de l’interaction électromagnétique (à l’origine de la lumière ou de l’électricité), de l’interaction forte (responsable de la cohésion des atomes) et de l’interaction faible (à la source de la radioactivité)
- Comprendre la fractalité, c’est accepter l’idée que les mondes et les plans puissent être imbriqués et interdépendants, comprendre qu’agir sur un plan entraine inévitablement des répercussions dans chacun des autres. Cette acceptation renforce encore davantage les liens du corps et de l’esprit, aide à considérer que le corps et le calme (sport, arts énergétiques, respiration, alimentation, cadre de vie…) peuvent contribuer à rééquilibrer les troubles de l’esprit de même que l’esprit peut aider à rééquilibrer le corps et les émotions (musique, connaissance de soi, focalisation du mental, pensées positives, optimisme, autosuggestions…).
- L’univers dans son ensemble est une fractale, les plans s’imbriquent dans les plans, l’intérieur peut devenir l’extérieur, le haut peut devenir le bas, l’avant peut devenir l’après, le temps et l’espace peuvent se dissoudre. Corollairement, tenter ou imaginer connaitre l’univers (ou le multivers) dans sa totalité est vain, un peu à l’image de cet homme qui voudrait se saisir à partir d’un hologramme.
- La fractalité laisse supposer qu'il existe des plans indépendants mais connectés au nôtre, certains plus subtils, d'autres plus lourds, certains plus anciens, d'autres ancrés dans le futur. Cette multiplicité est de nature à renforcer la probabilité d'existence des plans astraux, des dimensions parallèles, des multivers, du purgatoire ou des plans angéliques,
- Bien guidé par la pratique méditative, le corps peut permettre d’accéder à la fractalité des plans subtils, à la Terre du Ciel ou bien au Ciel de la Terre, au vide et à l’infinitude, remonter à l’Origine. Comprendre la fractalité aide le méditant à comprendre que c’est possible et que c’est somme toute logique. Comprendre la fractalité peut contribuer à faire sauter un verrou mental qui empêche d’accéder à cette Connaissance et à cette aptitude humaine. Comprendre la fractalité permet de gagner des dimensions, des « degrés de liberté » comme on dit en mathématiques, de penser et de se penser à l’image de l’Univers, à allumer les étoiles de notre Ciel intérieur. Comprendre la fractalité aide à se savoir infini. Pratiquer aide à se ressentir infini.
Lorsque le pratiquant devient universel, le Qi Gong devient alors cosmique. On ressent que nos atomes sont intriqués, comme dans la physique quantique, provenant d’un même big bang particulaire. On travaille avec les étoiles et les galaxies, nos cousines stellaires éloignées. Notre corps-Univers s’inspire des mouvements des grands astres et les contient. On ne sait plus comme le disait Tchouang Tseu si c’est notre corps qui contient l’Univers et si c’est l’Univers qui contient notre corps. A un certain niveau de conscience et fondu dans la totale Harmonie, la question elle-même n’a plus d’objet.
L’information réside dans l’ADN de nos cellules et l’ADN se souvient. L’ADN est la concrétion de l’information originelle et de l’énergie permettant la mise en mouvement de la vie (mitochondries). Cette information est là et attend d’être révélée, redécouverte. Le Principe de la Fractalité nous invite à devenir des explorateurs de nous-mêmes, des explorateurs de territoires connus et proches mais oubliés, un peu à l’image de ces cités englouties sous les eaux ou sous la végétation luxuriante de la jungle. Nous avons déjà tout en nous-mêmes, à commencer par la mémoire du cosmos, du big-bang et de tout ce qui le précède. La tradition taoïste nous rappelle ainsi que « l’homme nait complet » et nous invite à révéler et réveiller l’information qui sommeille au plus profond de nos cellules.
Rester vigilant et savoir revenir des mondes de la fractalité
A ce stade, la vigilance cependant est de mise car pratiquer le Qi Gong cosmique et fractal suppose d’être capable de « revenir » dans le monde de l’incarnation et de la réalité matérielle, même si celle-ci peut rimer avec épreuves, contingences, souffrance et difficultés. En plongée sous-marine comme en état d'altération de la conscience, il est parfois difficile de quitter les eaux de la béatitude. De ce fait, il est important de ne pas vouloir aller trop vite et brûler les étapes si vous ne souhaitez pas connaître la chute d’Icare (angoisses et troubles émotionnels, désincarnation et esprit flottant, dépression…). Allez-y progressivement, sans forcer et sous le regard patient et bienveillant d’un guide éclairé, qui a déjà emprunté la Voie. Dans la tradition, ce type d’initiation n’était accordée qu’aux disciples que le Maître estimait prêts et l’oralité primait. Fruit de la pratique et d'une sage guidance, aucun écrit n’existait. De même, avant de penser à élever notre plan de conscience, pensons à l’étendre et à l’horizontaliser, c'est-à-dire à accumuler et purifier notre énergie vitale (Qi), à pacifier nos émotions et à installer le calme, à canaliser nos pensées, à ouvrir le cœur et à aimer. Alors seulement, on peut tenter l’ascension des sommets de la fractalité. Tenter l’ascension suppose de tester et de travailler préalablement sa capacité à respirer un autre air, l’air pur du Ciel, de l’infinitude de l’amour inconditionnel et le "non-air" de la vacuité.
Contrairement à sa multitude d’apparence et avant le "Grand Oubli", le fractal mène à l’Unité Suprême, au" Taï Yi" dont parlent tous les textes de la tradition. La Création aime les paradoxes pour favoriser ceux qui pratiquent et éloigner ceux qui pensent trop.
(*) La spirale est l’une des formes pures de l’univers. Elle est un cercle en mouvement. De même, la science découvre qu’il existe de nombreux « tores » dans la Création : champs magnétiques, structure de la pomme etc. Les tores ne sont cependant qu’une combinaison plus complexe de cercles et de spirales.