Par Laurent CHATEAU
D'épais essais ont été commis par de doctes penseurs d'orient et d'occident sur la notion de "WuWeï", mal traduit par "Non-agir". Quantité de pages ont été noircies sur ce concept polysémique qui semble se dérober quand on croit le saisir. Je me suis livré à ce délicat exercice d'interprétation dans un autre article, où j'ai notamment indiqué que la traduction d'"Agir juste" ou de "Non-agir en force" était sans doute préférable aux vocables couramment répandus de "non action" ou de "non agir".
Au-delà de la déclinaison de ce concept dans le monde de l'entreprise, j'avais dans un autre article approché la notion de Wuweï par un exemple du quotidien, une histoire de piscine bruyante qui risquait d'envenimer une relation vicinale, jusque là pacifique.
Pour ajouter un exemple à l'exemple, j'aimerais ici convoquer le principe du Wuweï dans le cas du dressage d'un chien, si possible jeune. Ce principe universel du Wuweï répond aux lois de la nature et peut en effet se révéler grandement utile pour éduquer monsieur toutou, d'une manière presque ludique et sans hausser la voix. Démonstration.

Une histoire de chien perdu en forêt
Il y a de cela bien longtemps désormais, j'avais un jeune chien adorable (un golden retriever pour les cynophiles) que l'on amenait régulièrement en famille se promener dans la forêt. La truffe à l'air et oubliant gentiment ses maîtres (quelle ingratitude !), il avait coutume de partir loin devant et de quitter notre champ visuel. Toute la famille alors se mettait à paniquer et chacun se mettait à brailler, pensant naïvement que le bruit allait faire revenir l'animal fugueur.
Chacun s'époumonait péniblement et s'éraillait la voix pendant de longues minutes, effarouchait la faune, se perdait dans les fourrés et se griffait au passage avec quelques ronces malignes. Au bout des 5 minutes rituelles, notre quadripède revenait la babine joyeuse de ses nouvelles découvertes en ne comprenant pas la raison de la suprême admonestation qu'il recevait à son retour.
On le comprend dans cet exemple, la ballade en forêt, qui se voulait un moment de détente et de ressourcement pour tous, devenait régulièrement l'histoire d'une double incompréhension et l'expression pénible d'une relation "perdant/perdant".
Le cas étant posé et si vous-même étiez confronté à cette situation, quelle pratique s'inspirant du "non-agir en force" mettriez-vous en œuvre ? Réfléchissez-y quelques instants avant de poursuivre la lecture de cet article.
Ces quelques instants écoulés, je vous propose ici une solution inspirée par le "non-agir en force", qui pourrait en illustrer beaucoup d'autres.
La voie de l'Eau...
Dans la situation décrite, nos vociférations, nos "époumonations" dans la forêt étaient l'expression de la voie du Feu, celle de l'agitation et de la force Yang, de l'efficacité rapide et superficielle, de la résistance et de l'action/réaction, celle du contrôle et de la volonté de maîtrise, et bien souvent celle de la conformité et de la répétition. C'est généralement l'énergie que l'on déploie en occident pour éduquer les enfants en les tirant brutalement par le bras, pour résoudre les conflits ou manager les entreprises.
Par complémentarité existe la voie de l'Eau qui est celle qui s'assimile au concept de Wuwweï. Cette voie Yin préfère se laisser du temps, aime la créativité et l'intuition, l'incertitude et l'imprévisibilité, sans oublier la profondeur pour faire apparaître ce qui est caché ou ce qui ne se laisse pas voir tout de suite. L'Eau ne sait pas où va tomber la goutte et ce qui va apparaître de sa germination.
Dans l'exemple du roi de la fugue, la voie de l'Eau cherche à trouver un moyen de l'éduquer sans force et de lui faire passer de manière "fluide" l'envie de quitter des yeux sa "famille" désemparée. Nous avons profité d'une de nos ballades en forêt pour réfléchir à la question et éviter à notre compagnon de passer toute la promenade à tirer sur sa laisse. La réponse que l'on a trouvée fut alors d'une troublante simplicité : on allait... se cacher !
Dans ce cas précis et sans violence, nous allions décider de "non-agir", de nous cacher et d'attendre que notre chien truffier s'inquiète puis finisse par nous retrouver par son flair d'espèce. Ce qui fut fait. Comme à son accoutumée, l'animal suit sa trace olfactive et se perd au premier virage venu. On en profite pour quitter le chemin de quelques pas et s'accroupir non loin de là au milieu des feuilles et de le laisser filer. Quelques minutes plus tard, l'animal rapplique et s'inquiète. Sa tête se déplace vivement dans tous les sens et ne sait comment réagir. Sa meute a disparu ! On sent le coupable perdu et on l'observe filer en sens inverse pour tenter de rattraper ceux qui semblent l'avoir abandonné. On résiste mais non sans mal, à l'appeler pour l'informer que nous ne sommes pas loin. La voie de l'Eau peut parfois apparaître cruelle dans l'instant si on n'en saisit pas l'enseignement. Au bout de quelques (trop) longues minutes car nous étions devenus inquiets à notre tour, nous revoyons passer la truffe qui décide de s'arrêter à notre niveau. L'odorat sans doute le fait obliquer, traverser quelques fougères et... retrouver ses maîtres. L'histoire finissait bien et lui servirait de leçon. A partir de ce moment-là, le canidé ne s'est plus trop éloigné de sa tribu et lorsque l'envie lui en prenait, nous recommencions l'exercice pour l'aider à mémoriser l'apologue. Au bout de quelques ballades, ce rituel était devenu un jeu entre nous et lui permettait de développer son flair légendaire. Gagnant/gagnant, la voie de l'Eau lui avait permis d'apprendre et nous avait permis de trouver un nouveau terrain de jeu et de complicité.
Créativité, patience, inconfort passager, incertitude, ainsi sont les exigences de la voie de l 'Eau mais grande est son efficacité lorsqu'elle se met à fonctionner.
Comme aurait pu le dire le meilleur ami de l'homme, ainsi fonctionne l'aboi de l'Eau 😉.